Digital Manuscript ProjectMalone meurt / Malone Dies

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[0608|012] Pauvres, ils avaient vendu un peu
aux pauvres.
[0608|013] Les gens aisés s'approvisionnaient
chez le commerçant, même le samedi,
ne se dérangeaient même pas, se
faisaient livrer à domicile tout ce dont
ils avaient besoin.
[0608|014] Et non seulement les
gens aisés, mais la nombreuse catégorie
de ceux qui, sans être exactement
pauvres, devaient être regardants.
[0608|015] C'étaient les derniers auxquels les com-
mercants consentaient un petit crédit.
[0608|016] Ils avaient l'habitude de ne payer comptant
que leurs plaisirs.
[0608|017] Cela les empêchaient
de profiter du marché, où du reste
on payait presque aussi cher que dans
les magasins, les paysans devant tenir
compte de leur journée perdue.
[0608|018] Les en empêchait aussi
la crainte que leur fournisseur n'apprît
qu'ils avaient acheté ailleurs que chez
lui.
[0608|019] Le marché était donc une affaire
entre pauvres, les vendeurs l'étant autant
que les acheteurs.
[0608|020] Sapo les regardait
se débattre, pauvres contre
pauvres, lents, hargneux, méfiants,
en ennemis.
[0608|021] Il se sentait attiré par
ce milieu.
[0608|022] Il essayait de se faire une idée de
l'état d'esprit du paysan qui vendait,
ainsi que de celui du client.
[0608|023] Voici l'idée
qu'il finit par s'en faire.
[0608|024] Le paysan était surtout mécontent,
son visage, sa voix et toute son attitude
en témoignaient.
[0608|025] Et plus la journée
allait plus il semblait de mauvaise
humeur.
[0608|026] Ce n'était pas
la vente difficultueuse qui le rendait
ainsi, car même lorsqu'il vendait bien
il restait renfrogné et morose.
[0608|027] Il
était souvent accompagné de sa femme,
et de l'un ou plusieurs
de ses enfants.
[0608|028] Il pensait à sa femme,
laissée à la garde du journalier, ou
abandonnée.
[0608|029] Aucun travail sérieux
ne pouvait s'y faire, en l'absence
de l'unique cheval et de la meilleure
charrette.
[0608|030] Il pensait à tout ce qu'il
y avait à faire, à sa journée perdue,
à la terre délaissée. Il aimait le repos,
mais le repos chez lui, au milieu de son
bien.
[0608|031] La ville lui déplaisait profondément.
[0608|032] Il était mal dans ses vêtements.
[0608|033] Il se sentait en pays hostile.
[0608|034] Il se faisait
du souci pour ses bêtes.
[0608|035] La présence de
ses semblables ne lui apportait aucun
reconfort .
[0608|036]
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- Marginal Additions
Malone meurt / Malone Dies © 2017 Samuel Beckett Digital Manuscript Project.
Editors: Dirk Van Hulle, Pim Verhulst and Vincent Neyt