Samuel Beckett
Digital Manuscript Project
That Time / Cette fois

MS-UoR-1657-3

MS. Pages: 01r - 05r 06r - 08r
[p. 01r]
CETTE FOIS
DOODLE 1







[p. 02r]

[0005] Rideau. [0006] Scène dans l'obscurité. [0007] Montée de l'éclairage sur le visage du Souvenant à environ 3 mètres au-dessus du niveau de la scène et un peu décentré.

[0008] Vieux visage blême légèrement incliné en arrière, longs cheveux blancs dressés comme vus de haut étalés sur un oreiller.

[0009] Bribes d'une seule et même voix, la sienne, ABC lui arrivent des deux côtés et d'en du haut respectivement. [0010] Elles s'enchaînent sans interruption sauf aux endroits indiqués. [0011] Voir note.

[0012] Silence 7 secondes. [0013] Yeux ouverts. [0014] Respiration audible, lente et régulière.

A

[0015] cette fois où tu es retourné cette dernière fois voir si elle était là toujours la ruine où enfant tu te cachais quand c'était (les yeux se ferment, légère baisse de l'éclairage) journée grise avec le onze 11 jusqu'au bout de la ligne et de là à pied mais non plus de trams alors finis belle lurette cette fois où tu es retourné voir si elle était là toujours la ruine où enfant tu te cachais cette dernière fois plus un tram à perte de vue rien que les vieux rails quand c'était

C

[0016] quand tu t'es mis à l'abri de la pluie toujours l'hiver alors toujours la pluie cette fois au Musée des Portraits à l'abri du froid de la pluie de la rue guetté le moment de te faufiler et à travers les salles transi et ruisselant jusqu'au premier banc venu dalle de marbre où t'affaler te reposer souffler sécher puis foutre le camp au diable te sauver filer loin de là quand c'était

B

[0017] sur la pierre ensemble au soleil sur la pierre à l'orée du petit bois et à perte de vue les blés blondissants vous jurant de temps en temps amour à peine un murmure sans jamais vous toucher ni rien de cette nature toi un bout de la pierre elle l'autre longue pierre basse genre meulière sans jamais vous regarder simplement là ensemble sur la pierre au soleil dos au petit bois fixant les blés ou les yeux fermés et tout autour tout immobile pas trace de vie pas une âme dehors pas un bruit

A

[0018] grimpé tout droit du quai à la grand-rue la besace à la main droit devant toi ni à droite ni à gauche au diable les vieux lieux les vieux noms tout droit la grimpée du quai à la grand-rue et là plus un cable à voir rien que les vieux rails tout rouillés quand c'était est-ce que ta mère ah tais-toi tous liquidés belle lurette cette fois où tu es retourné cette dernière fois voir si elle était là toujours la ruine où enfant tu te cachais la ruine d'une folie la Folie comment qu'elle s'appelait

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C

[0019] est-ce que ta mère ah tais-toi tous liquidés belle lurette tous poussière toute la tribu toi le dernier affalé sur la dalle dans le ton vieux manteau vert blotti dans tes bras à qui d'autre pour un peu de chaleur histoire de sécher et foutre le camp au diable puis te sauver filer loin de là t'affaler ailleurs pas âme alentour qui vive toi seul (et) de loin en loin un gardien somnambulant par là traînant ses semelles de feutre pas un bruit sauf de loin en loin une traînée de feutre s'approchant puis se mourant

B

[0020] tout autour tout immobile seuls les épis les feuilles (et) vous aussi tout immobiles sur la pierre comme hébétés etourdis pas un bruit pas un mot sinon de temps en temps pour vous jurer amour à peine un murmure seule source de larmes avant qu'elles tarissent pour de bon cette pensée chaque fois qu'elle surgissait parmi les autres faisait surface cette scène

A

[0021] Fourier peut-être la Folie Fourier un bout de tour encore debout tout le reste gravats et orties où as-tu créché plus un seul ami plus un foyer peut-être cette taule sur la mer où tu non là elle était avec toi encore avec toi qu'une seule nuit en tout cas débarqué un matin rembarqué le suivant voir si elle était là toujours la ruine où jamais nul ne venait où enfant tu te cachais guettais le moment de te défiler et courais t'y cacher à longueur de journée sur une pierre au milieu des orties avec ton livre d'images

C

[0022] et là au bout d'un moment ayant hissé la tête ouvert les yeux une vaste huile noire d'antiquité et de crasse quelqu'un célèbre de son vivant homme ou femme voire enfant célèbre jeune prince peut-être ou princesse quelconque jeune prince ou princesse du sang quelconque noir d'antiquité derrière le verre où peu à peu devant tes yeux ecarquillés à vouloir y voir clair peu à peu un visage [] pas moins qui te fait pivoter sur la dalle pour voir qui c' est là à tes côtés

B

[0023] sur la pierre au soleil fixant les blés ou le ciel ou les yeux fermés rien à voir à perte de vue que blés blondissants et ciel d'azur de temps en temps vous jurant amour à peine un murmure des larmes assurées avant qu'elles tarissent pour de bon soudain là au milieu des pensées qui te trottaient des scènes quelles qu'elles fussent peut-être au fin fond de l'enfance ou le ventre maternel pire que tout ou ce vieux Chinois bien avant Jésus-Christ né avec de longs cheveux blancs

C

[0024] jamais le même après cela jamais tout à fait le même mais rien de nouveau ceci cela monnaie courante les choses après quoi tu ne pouvais jamais être le même te traînant à longueur d'année jusqu'au cou dans ton gâchis de toujours en te marmonnant à qui d'autre tu ne seras jamais le même après ceci tu n'as jamais été le même après cela

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A

[0025] ou te parlant tout seul à qui d'autre conversations imaginaires l'enfance que voilà dix onze ans sur une pierre au milieu des orties géantes tout à tes inventions tantôt une voix tantôt une autre jusqu'à en avoir la gorge en feu et les grailler toutes pareil bien avant dans la nuit quand ça te prenait nuit noire ou clair de lune et les autres qui battaient les chemins à ta recherche

B

[0026] ou à la fenêtre dans le noir à écouter la chouette la tête vide et peu à peu difficile à croire de plus en plus difficile à croire que tu aies jamais pu jurer amour à quelqu'un ou jamais quelqu'un à toi jusqu'à n'y voir qu'une de ces histoires que tu allais inventant pour contenir le vide qu'encore une de ces vieilles fables pour pas que vienne le vide t'ensevelir le suaire

[0027] Silence [0029] 3 secondes. Les yeux s'ouvrent. [0029|001] Légère montée de l'éclairage. [0028] Respiration audible. [0028|001] 7 secondes.

C

[0030] jamais le même mais le même que qui bon Dieu t'es-tu jamais dit je de ta vie allons (les yeux se ferment, légère baisse de l'éclairage) as-tu jamais pu te dire je de ta vie tournant voilà un mot que tu avais toujours à la bouche avant qu'elle tarisse pour de bon toute ta vie dans les tournants l'un après l'autre alors que jamais qu'un seul premier et dernier cette fois petit vermisseau blotti dans la vase où ils t'ont tiré de là et débarbouillé et détortillé jamais d'autre tournant depuis celui-là droit devant toi à partir de là ou est-ce que c'était ça une autre fois tout ça une autre fois

B

[0031] te marmonnant tes fables cette fois ensemble sur la pierre au soleil ou cette fois ensemble sur le halage ou cette fois ensemble dans les dunes cette fois cette fois et à partir de là du mieux que tu pouvais toujours ensemble quelque part au soleil sur le halage face à l'aval au soleil couchant et les débris qui arrivaient par derrière pour s'en aller au fil de l'eau toujours plus loin ou pris dans les roseaux le rat crevé ou similaire vous arrivant dessus par derrière pour s'en aller lentement au fil de l'eau hors de votre vue

A

[0032] cette fois où tu es retourné voir si elle était là toujours la ruine où enfant tu te cachais cette dernière fois tout droit la grimpée du quai à la grand-rue attraper le 11 ni à droite ni à gauche qu'une seule idée en tête au diable les vieux lieux les vieux noms tête baissée droit devant toi jusqu'en haut pour là la besace à la main le temps de te rendre à l'évidence

C

[0033] quand tu t'es mis à ne plus te connaître ni d'Eve ni d'Adam à essayer voir ce que ça donnerait pour changer ne plus te connaître ni d'Eve ni d'Adam aucune idée qui disait ce que tu disais à qui le crâne où tu moisissais de qui les misères qui t'avaient rendu tel ou est-ce que c'était ça une autre fois cette fois seul avec les portraits des morts noirs de crasse et d'antiquité et les dates sur les cadres pour pas qu'on se trompe de siècle ne pouvant croire que c'était toi jusqu'à ce qu'on te flanque dehors sous la pluie à l'heure réglementaire

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B

[0034] jamais un regard pour son visage ou autre partie jamais un geste vers elle ni d'elle vers toi toujours parallèles comme aux deux bouts d'un essieu jamais l'un vers l'autre rien que deux taches floues aux limites du champ sans jamais vous toucher ni rien de cette nature toujours de l'espace entre vous ne serait-ce qu'un centimètre point d'attouchements manière chair et sang guère mieux que deux ombres guère plus mal n'eussent été les serments

A

[0035] plus de tram pour y aller alors quoi faire pas question de demander plus un seul mot aux vivants tant que tu vivrais à pied donc à la fin plié en deux jusqu'à la gare y aller par le train et là tout bouclé et barricadé le terminus néo-dorique du réseau sud-est tout bouclé et la colonnade tombant en ruine alors quoi faire

C

[0036] la pluie et l'éternelle vadrouille cherchant à l'inventer ainsi à t'inventer ainsi au fur et à mesure à essayer voir ce que ça donnerait pour changer ne pas avoir été ce que ça pourrait bien donner n'avoir jamais été l'éternelle vadrouille tout au truquage de l'être en chose titubant marmonnant aux quatre coins de la paroisse jusqu'à ce que la bouche tarisse et que la tête tarisse et que les jambes tarissent à qui qu'elles fussent ou que la chose renonce quelle qu'elle fût

B

[0037] immobiles comme marbre toujours immobiles comme cette fois sur la pierre ou cette fois dans les dunes étendus parallèles sur le sable au soleil fixant l'azur ou les yeux fermés azur noir azur noir immobiles comme marbre côte à côte la scène fait surface et vous y revoilà où que ce fût

A

[0038] alors plus qu'à renoncer y renoncer affalé sur une marche sous le pâle soleil du matin non jamais de soleil sur ces marches-là ailleurs donc aller t'affaler ailleurs sous le pâle soleil un pas de porte disons un pas de porte à quelqu'un attendre que la nuit vienne et l'heure de rembarquer foutre le camp te sauver loin de là pas besoin de crécher nulle part au diable les vieux lieux les vieux noms les passants se figeant bouche bée à ta vue puis passant outre passant leur chemin de l'autre côté

B

[0039] immobiles comme marbre côte à côte avant de sombrer et disparaître sans avoir plus bougé que les deux boules d'un haltère à part les paupières et de temps à autre les lèvres pour jurer amour et tout autour aussi tout immobile toutes parts où que ce fût rien qui bouge aucun bruit seules les feuilles à peine dans le petit bois derrière ou les épis ou les joncs ou les roseaux selon d'homme nulle trace de bête non plus à perte de vue à perte d'ouïe

C

[0040] toujours l'hiver alors toujours la pluie toujours à guetter le moment de te faufiler à l'abri de la rue du froid de la pluie dans le ton vieux manteau vert indéchirable héritage de ton père rien que des entrées libres telle la Bibliothéque Municipale en voilà une autre vive la culture gratuite providence des sans-abri ou le bureau de poste en voilà un autre un autre lieu une autre fois

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