Samuel Beckett
Digital Manuscript Project
L'Innommable / The Unnamable

MS-HRC-SB-4-1

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[2324] suffirait pour l'éternité, on dirait vraiment que c'est moi, moi qui parle, moi qui fais des projets, pour l'heure, pour l'éternité, alors que je suis loin, ou dans mes bras quelque part, ou à côté quelque part, derrière les murs, quelques mots sur le silence, puis une seule chose, un seul espace et là-dedans quelqu'un dedans peut-être, jusqu'à la fin, j'y crois, c'est le soir déjà, j'y crois ce soir, c'est annoncé, on annonce, puis on renonce, c'est ainsi, ça fait continuer, ça fait venir la fin, les soirs où il y a une fin, je parle du soir, quelqu'un parle du soir, c'est peut-être encore le matin, c'est peut-être encore la nuit, il fait peut-être nuit encore, moi je n'ai pas d'opinion. [2325.1] Ils s'aiment, se marient, pour mieux s'aimer, il part à la guerre, il meurt à la guerre, elle x pleure, d'émotion, d'émotion de l'avoir perdu, se remarie, pour aimer encore, ils s'aiment, on aime autant de fois qu'il le faut, qu'il le faut pour être heureux, il revient, il n'est pas mort à la guerre, elle va à la gare, il meurt dans le train, d'émotion, à l'idée de la retrouver, elle pleure, retourne à la maison, il est mort, la belle-mère le détache, il s'est pendu, d'émotion, à l'idée de la perdre, elle pleure, d'émotion, elle doit le pleurer, les pleurer, [2325.2] en voilà une histoire, c'était pour que je sache ce que c'est que l'émotion, ça s'appelle Emotion, ce que peut l'émotion, ce que peut l'amour, alors c'est ça l'émotion, pour que je sache ce que c'est que les trains, les chefs de train, les gares, les quais, les guerres la guerre, les cris déchirants, ça c'est la bell doit être la belle-mère, elle pousse des cris déchirants, tout en le d détachant son fils, ou son gendre, je ne sais pas, ça doit être son fils, et la porte, la porte de la maison est fermée, de retour de la gare elle trouve la porte fermée, elle doit la forcer, qui l'a fermée, lui pour mieux se pendre, ou la belle-mère vieille pour mieux le détacher, p ou pour empêcher sa bru de revenir, rentrer chez elle, [2325.3] ça doit être la bru, ce n'est pas le gendre et la fille, c'est le fils et la bru, comme je raisonne bien ce soir, c'était pour m'apprendre à raisonner, c'était pour m'induire à y aller, là où on peut finir, je fus un bon j'ai dû être un bon élève, jusqu'à un certain point, je n'ai pu dépasser un certain point, je comprends qu'ils m'en aient voulu,

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[2325.1] Ils s'aim
Ils s'aimaient, il se sont mariés, il est pa
Ils s'aiment, se marient, pour mieux s'aimer, il part à la guerre, il meurt à la guerre, elle le pleure. elle se remarie, ils s'aiment, on aime autant de fois qu'il le faut, qu'il le faut pour être heureux, il revient, il n'est pas mort à la guerre, elle va à la gare, il meurt dans le train, d'émotion, à l'idée de la revoir retrouver, elle retourne à la maison, il est mort, la belle-mère le détache, il s'est pendu, d'émotion, à l'idée de la perdre, j'en connais des histoires elle pleure, elle pleure d'émotion, elle doit en les pleurer,
[2325.2] voilà une histoire, c'était pour que je sache ce que c'est que l'émotion, ça s'appelle l'ém émotion, ce que peut l'émotion, ce que peut l'amour

[2325.3] je fus un bon élève, .. certain point .. le dépasser. la porte .. qui ... je ne le saurai ..

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[2325] ce soir je commence à comprendre, ce n'est pas méchant, ce n'est pas moi, ce n'était pas moi, c'est la porte qui m'intéresse, qui a fermé la porte, et pour quel motif, je ne le saurai jamais, en voilà une histoire, je les croyais finies, toutes oubliées, elle est peut-être nouvelle, toute fraîche, est-ce le retour au monde fabuleux, non, il n'est qu'un rappel, pour me faire regretter que je regrette ce que j'ai perdu, pour que je me veuille à nouveau là d'où je suis banni, malheureusement ça ne me rappelle rien. [2326.1] Le silence, parler du silence, avant d'y rentrer, y ai-je été déjà, je ne sais pas, à chaque instant j'y suis, à chaque instant j'en sors, voilà que j'en parle, je savais que ça venait, j'en sors pour en parler, j'y suis tout en parlant, si c'est moi qui parle, et ce n'est pas moi, mais je fais comme c'était moi, souvent je fais comme si c'était moi, mais longuement, y ai-je été longuement, un long séjour, je ne comprends rien à la durée, je ne peux pas en parler non plus, je ne sais pas pourquoi, j'en parle bien, je dis jamais et toujours, j'ai vogue je parle des saisons et des parties du jour et de la nuit, la nuit n'a pas de parties, c'est parce qu'on dort, et les saisons doivent s'y ressembler, c'est peut-être le printemps en ce moment, voilà que je récidive, ce sont des mots qu'on m'appris, sans bien me faire voir ce qu'ils signifient, c'est comme ça que j'ai appris à raisonner, je les emploie tous, tous les mots qu'on m'a appris, des listes, ah quelle drôle de chaleur tout d'un coup, ils étaient par listes, avec des images en regard, j'ai dû en oublier, j'ai dû les mélanger, ces images sans nom que j'ai, et ces noms sans images, et ces chaises que je devrais peut-être appeler tables, enfin autrement, et ce mot homme qui n'est peut-être pas le bon pour ce que je vois en le disant l'entendant, et Dieu sait que je ne vois pas grand-chose pour le peu que je vois, [2326.2] mais un moment, une heure, et ainsi de suite, comment les illustrer, une vie, comment me faire voir ça, ici dans le noir, j'appelle ça le noir, c'est peut-être du bleu, ce sont des mots blancs, mais je les emploie, je ils viennent, tous ceux qu'on m'a montrés, tous ceux dont je me souviens, il me les faut tous, pour pouvoir continuer, ce n'est pas vrai, vingt me suffiraient, vingt fidèles, bien

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ancrés, bien variés, la palette y serait, je les mélangerais, je les varierais, tout ce que je ferais, si je pouvais, si je voulais, d'ailleurs ça vient, c'est peut-être comme ça que ça finira, par des cris déchirants, des murmures inarticulés, toute une onomatopée à inventer, au fur et à mesure, à improviser, tout en gémissant, je rirai, c'est comme que ça finira, par des gloussements, glouglous aïe, ha, pah, je vais m'exercer, nyam, hou, plof, pss, rien que de l'émotion, ooh, aah, c'est l' ça c'est l'amour pan, paf, les coups, na, toc, quoi encore, aah, ooh, c'est ça c'est l'amour, assez, c'est fatigant , hi hi hi hi, ça c'est les côtes, les côtes de Démocrite, non, de l'autre, en fin de compte, c'est la fin, c'est le silence, le silence, que dire du silence, le vrai, pas celui où je baigne, jusqu'à la bouche, jusqu'à l'oreille, qui me recouvre, qui me découvre, qui respire avec moi, comme un chat avec une souris, le vrai, celui des noyés, [2326.3] je me suis noyé, plusieurs fois, ce n'était pas moi, je me suis asphyxié, je me suis mis le feu, je me suis cogné sur la tête avec du bois et du fer, ce n'était pas moi, il n'y avait pas de tête, il n'y avait pas de fer, je ne me suis rien fait, je n'ai rien fait à personne, personne ne m'a rien fait, il n'y a personne, j'ai cherché, il n'y a que moi, non plus, moi non plus, j'ai cherché partout, il doit y avoir quelqu'un, cette voix doit appartenir à quelqu'un, je veux bien, je veux tout ce qu'elle veut, je suis elle, je l'ai dit, elle le dit, de temps en temps elle le dit, puis elle dit que non, je veux bien, je veux qu'elle se taise, elle veut se taire, elle ne peut pas, elle se tait un instant, puis puis elle reprend, ce n'est pas le vrai silence, elle dit que ce n'est pàs là le vrai silence, que dire du vrai silence, je ne sais pas, qu'il a que je ne le connais pas, qu'il n'y en a pas, qu'il y en a peut-être, oui, qu'il y en a peut-être, je ne le saurai jamais. [2327] Mais quand elle faiblit et quand elle s'arrête, mais elle faiblit à chaque instant, elle s'arrête à chaque instant, oui, mais quand elle s'arrête un bon moment, un bon moment, qu'est-ce que c'est un bon moment, il y a des murmures, il doit y avoir des murmures, et l'écoute, quelqu'un qui écoute, la bouche qui écoute, pas besoin d'une oreille, pas besoin d'une bouche, la voix qui s'écoute, comme lorsqu'elle parle, qui s'écoute se taire, ça fait un murmure,

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[2327] ça fait une voix, une petite voix, la même petite voix petite, elle reste dans la gorge, revoilà la gorge, revoilà la bouche, elle re remplit la bouche, elle remp remplit l'oreille, puis je rends, quelqu'un rend, quelqu'un se remet à rendre, ça doit se passer comme ça, je n'ai pas d'explications à donner, ni à demander, la virgule viendra où je me noierai pour de bon, je le crois ce sera le silence, j'y crois ce soir, c'est encore le soir, moi je veux bien, peu c'est peut-être le printemps, [] les choses [] les violettes, non, ça c'est l'automne, les choses qui passent, les choses qui finissent, on n'a pas su m'expliquer, les choses qui bougent, s'en allant, revenant, la une lumière qui change, des xxx on n'a pas su me montrer, et avec ça la mort, une voix qui meurt, xxx, elle est ça n'existe pas bien bonne, ce serait le silence [] enfin, pas un murmure, pas d'air, personne qui écoute, pas pour ma fichue gueule, c'est bon, en avant. [2328.1] Enorme prison, comme cent mille cathédrales, plus jamais autre chose, dorénavant, et là-dedans, quelque part, peut-être, le détenu, rivé sur place, infime, le détenu, comment le trouver, que cet espèce espace est faux, quelle fausseté aussitôt, vouloir y nouer des rapports, vouloir y mettre un être, une cellule lui suffirait, si j'abandonnais, si je pouvais abandonner, avant de commencer, avant de recommencer, quel halètement, c'est ça, des exclamations, ça fait continuer, ça retarde l'échéance, non, c'est le contraire, je ne sais pas, repartir, dans cette immensité, dans cette obscurité, faire les mouvements de repartir, alors qu'on ne peut pas bouger, alors qu'on n'est jamais parti, on le con, faire les mouvements, quels mouvements, on ne peut pas bouger, on lance la voix, elle se perd dans les voutes , on elle appelle ça des voutes , c'est peut-être le firmament, c'est peut-être l'abîme, elle parle d'une prison, après tout je veux bien, assez grande pour tout un peuple, pour moi tout seul, xx ou qui m'attend, je vais y aller, je vais essayer d'y aller, je ne peux pas bouger, j'y suis déjà, je dois y être déjà, je n'y si je n'étais pas seul, si tout un peuple y était, si cette voix était la sienne, m'arrivant par bribes, nous aurions vécu, nous aurions été libres un moment, [2328.2] maintenant nous en parlons, chacun pour soi, chacun devant soi, et nous écoutons, nous sommes tout un peuple,

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parlant et écoutant, en même temps, ça ex, non, je suis seul, je suis peut-être le premier, ou je suis peut-être le dernier, seul à parler, seul à écouter, les autres sont partis, ils sont comme partis, ils se sont tus, tus de parler, tus d'écouter, l'un après l'autre, au fur et à mesure des arrivées, un autre viendra, je ne serai plus le dernier, je serai avec les autres, comme parti, dans le silence, ce ne sera pas moi, ce n'est pas moi, je n'y suis pas encore, je vais y aller, je vais essayer d'y aller, pas besoin d'essayer, j'attends mon tour, mon tour d'y aller, mon tour d'y parler, mon tour d'y écouter, mon tour d'y attendre mon tour de partir, d'être comme parti, c'est long, ce sera long, parti où, où va-t-on de là, on doit aller ailleurs, attendre ailleurs, partir ailleurs, écouter ailleurs, attendre ailleurs, d'aller attendre son tour, de partir encore, et ainsi de suite, l'un après l'autre, tout un peuple, ou moi tout seul, pas besoin d'un peuple, ainsi de suite, moi tout seul, et revenir ici, et recommencer, non, continuer, [2328.3] c'est un circuit, c'est un long circuit, je le connais bien, je dois le connaître, ce n'est pas vrai, je ne peux pas bouger, je n'ai pas bougé, je lance ma voix, j'entends une voix, il n'y a qu'ici, je il n'y a pas 2 endroits, il n'y a pas deux prisons, c'est mon parloir, c'est un parloir, je n'y attends rien, je ne sais pas où c'est, je ne sais pas comment c'est, je n'ai pas à m'en occuper, je ne sais pas s'il est grand, ou s'il est petit, ou s'il est fermé, ou s'il est ouvert, [2328.4] c'est ça, répéter, ça fait continuer, ou s'il est ouvert, ouvert à quoi, il n'y a que lui, ouvert au vide, ouvert au rien, je veux bien, ce sont des mots, ouvert au silence, donnant sur le silence, de plain pied, pourquoi pas, tout ce temps, au bord du silence, je le savais, sur un rocher, ficelé sur un rocher, au milieu du silence, sa grande houle s'élève vers moi, j'en ruisselle, c'est une image, ce sont des mots, c'est un corps, ce n'est pas moi, je savais que ce ne serait pas moi, je ne suis pas dehors, je suis dedans, je suis dans quelque chose, je suis enfermé, le silence est dehors, dehors, dedans, il n'y a qu'ici, et le silence dehors, que cette voix, et le

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