Samuel Beckett
Digital Manuscript Project
L'Innommable / The Unnamable

MS-HRC-SB-4-1

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[2328] silence tout autour, pas besoin de murs, si, il faut des murs, il me faut des murs, bien épais, il me faut une prison, j'avais raison, pour moi tout seul, je vais y aller, je vais m'y mettre, j'y suis déjà, je vais m'y chercher, j'y suis quelque part, ce ne sera pas moi, ça ne fait rien, je dirai que c'est moi, c'est peut-être ce qu'ils attendent, pour me donner quittance, que je me dise quelqu'un, que je me dise quelque part, pour me mettre dehors, dans le silence. [2329.1] Je n'y vois rien, c'est qu'il n'y a rien, ou c'est que je n'ai pas d'yeux, ou les deux, ça fait trois possibilités, au choix, mais est-ce que je n'y vois rien, ce n'est pas le moment de mentir, comment ne pas mentir, en voilà des idées, une voix pareille, comment la contrôler, elle essaie tout, elle est aveugle, elle me cherche dans le noir, elle cherche une bouche, qui peut l'infirmer, elle est la seule, il faudrait une tête, il faudrait des sens, il et avec ça des choses, je ne sais pas, j'ai trop l'air de savoir, j'ai trop savant cet air, [2329.2] c'est la voix qui fait [place = supralinear] ça, elle se fait savante, c'est pour que je me croie savant, c'est pour que je la croie mienne, les yeux ne l'intéressent pas, elle dit que je n'en ai pas, ou qu'ils ne me servent à rien, puis elle parle de larmes, puis elle parle de lueurs, vraiment elle tâtonne, des lueurs, oui, au loin, ou proches, les distances, vous savez, les mesures, motus, des lumières, lueurs, comme à l'aube, puis qui meurent, comme au soir, ou qui s'enflent, ça leur arrive, flambent plus blanches que neige, une seconde, ça c'est très court, puis s'éteignent, en effet, si l'on veut, on oublie, j'oublie, je dis que je vois rien, ou je dis que c'est dans ma tête, p afin de rester sans yeux ne me sentant pas d'yeux, comme si je me sentais une tête, tout ça c'est des hypothèses, c'est des mensonges, ces lueurs aussi, elles devaient me sauver, elles devaient me dévorer, ça n'a rien donné, je ne vois rien, soit que ceci ou [place = supralinear] et soit que cela, et ces images où ils m'ont abreuvé, comme un chameau avant le départ, je ne sais pas, des encore des mensonges, pour voir, c'est vu, c'est tout vu, des mensonges, c'est vite dit, il faut dire vite, c'est le ré [place = overwritten] èglement. [2329.2|001] Peut-on parler de moi dans ces conditions? [2329.2|002] Certes non, ni de moi ni d'autre chose [2330.1] Mais l'endroit quand même, je le ferai dans ma tête, je le tirerai

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de ma mémoire, [place = supralinear] [] je le tirerai vers moi, je me ferai une tête, je me ferai une mémoire, je n'ai qu'à écouter, la voix me dira tout, tout ce dont j'ai besoin, elle me l'a déjà dit, elle me le redira, par petites bribes, par petits en haletant, c'est comme une confession, une dernière confession, on la croit finie, puis elle rebondit, il y a eu tant de fautes, la mémoire est si mauvaise, les mots ne viennent plus, les mots se font rares, le souffle se fait court, non, ce n'est pas ça, c'est un réquisitoire, [place = facing leaf] [] c'est une mourante qui accuse, c'est moi qu'elle accuse, il faut accuser quelqu'un, il faut trouver quelqu'un, elle parle de mes méfaits, elle parle de ma tête, elle se dit à moi, elle dit que je regrette, que je veux être puni, mieux que je ne le suis, que je veux sortir, que je veux me livrer, il faut une victime, je n'ai qu'à écouter, elle indiquera ma cachette, elle me l'indiquera, comment elle est faite, où est la porte, s'il y a une porte, et où je suis moi, et comment c'est entre nous, quel genre de terrain, si c'est de la mer, ou si c'est des montagnes, et le chemin à suivre, pour pouvoir s'en aller, s'échapper, se livrer, arriver là où la hâche tombe sans autre forme de procès, [] [place = facing leaf] [] sur tous ceux qui viennent d'ici, [2330.2] je ne suis pas le premier, je ne serai pas le premier, elle m'aura, elle en a eu d'autres, elle me dira comment faire, comment faire pour se [place = supralinear] me lever, et se [place = supralinear] me mouvoir, pour faire comme un corps doué de désespoir, c'est ainsi que je raisonne, que je m'entends raisonner, que j'entends raisonner, tout ça c'est des mensonges, ce n'est moi qu'on appelle, ce n'est pas de moi qu'on parle, ce n'est pas encore mon tour, c'est le tour d'un autre, c'est pour ça que je ne peux pas bouger, que je ne me sens pas un corps, je ne souffre pas encore assez, ce n'est pas encore mon tour, pas assez pour pouvoir bouger, pour avoir une, pour pouvoir comprendre, pour avoir des yeux qui éclairent le chemin, je ne fais qu'entendre, c'est tout ce que je peux faire, sans comprendre, sans pouvoir profiter de ce que j'entends, pour m'en aller, pour n'avoir plus à entendre, je n'entends pas tout, ça doit être ça, les choses importantes je les ne les entends pas, ce n'est pas mon tour, les indications topographiques et anatomiques notamment ne parviennent pas jusqu'à moi, [2330.3] si, j'entends tout, j'ai dû entendre tout, qu'est-ce que ça peut faire, du moment que ce n'est pas mon tour, mon tour de comprendre,

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mon tour de vivre, elle appelle ça vivre, l'espace du chemin d'ici la porte, tout est là, dans ce qui me parvient, quelque part, si tout est dit, depuis le temps, tout doit être dit, mais ce n'est pas mon tour de savoir quoi, de savoir qui je suis, et où je suis, et comment faire pour ne plus l'être, ne plus y être, ça se tient, pour être un autre, [place = facing leaf] non, le même, je ne sais pas, m'en aller en vie, et n et n'être plus, ou faire le chemin, trouver la porte, trouver la hache, c'est peut-être une corde, pour le xxx, [place = supralinear] cou, pour la gorge, ou des doigts, j'aurai des yeux, je verrai des doigts, ce sera le silence, c'est peut-être une chute, trouver la porte, ouvrir la porte, tomber, dans le silence, ce ne sera pas moi, je resterai ici, à ou là, plutôt là, ce ne sera jamais moi, [2330.4] tout ça a été fait, dit et redit, le départ, le corps qui se lève, le chemin, en couleurs, la venue, la porte qui s'ouvre, se referme, ça n'a jamais été moi, je n'ai pas bougé, j'ai écouté, j'ai dû parler, pourquoi vouloir que non, après tout, je ne veux rien, je dis ce que j'entends, j'entends ce que je dis, je ne sais pas, l'un ou l'autre, ou les deux, ça fait trois possibilités, toutes ces histoires de voyageurs, ces histoires de coincés, elles sont de moi, je dois être extrêmement vieux, ou c'est la mémoire qui est mauvaise, si je savais si j'avais vécu, ou si je vis, ou si je vivrai, c'est xx imposs impossible de savoir, c'est là l'astuce, je n'ai pas bougé d'ici, c'est tout ce que je sais, [] [place = facing leaf] [] non, je ne sais autre chose, que ce n'est pas moi, je l'oublie toujours, [2330.5] je reprends, il faut reprendre, pas bougé d'ici, pas cessé de me raconter des histoires, ne les écoutant qu'à moitié, écoutant autre chose, prenant l'oreille pour autre chose, me demandant de temps en temps d'où je les tiens, c'est a dire m'entendant dire, d'où est-ce que je les tiens, ai-je été chez eux, [place = supralinear] les vivants, sont-ils [place = supralinear] sont-ils venus chez moi, et où est-ce que je les tiens, dans ma tête, mais je ne me sens pas une tête, et avec quoi est-ce que je les dis, avec ma bouche, même remarque, et avec quoi est-ce que je l'entends, et tatata et tatata, ça ne peut pas être moi, ou c'est que je ne fais pas attention, j'ai tellement l'habitude, je fais ça sans faire attention, ou étant comme ailleurs, me voilà loin, me voilà l'absent, qu'il s'agit de trouver celui qui ne parle ni n'écoute, qui ne qui n'a pas de corps ni ni corps ni âme, c'est autre chose qu'il a, il doit avoir quelque chose, il doit être quelque part, il est fait de silence, [place = facing leaf] voilà une jolie analyse il est dans le

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silence, c'est de lui c'est lui qu'il faut chercher, c'est de lui qu'il faut parler, alors je lui qu'il faut être, de lui qu'il faut parler, mais il ne peut pas parler, son histoire qu'il faut raconter, alors je pourrai m'arrêter, je pourrai être je serai lui, ce sera le silence, nous serons réunis, son histoire qu'il faut raconter, [2330.6] mais il n'a pas d'histoire, il n'a pas été dans l'histoire, ce n'est pas sûr, il est dans son histoire à lui, inimaginable, indicible, mais il faut essayer, avec [place = supralinear] dans mes vieilles histoires venues je ne sais d'où, de faire [place = supralinear] trouver la sienne, elle doit y être, elle a dû être la mienne, je la reconnaîtrai, je finirai par la reconnaître, je finirai par y disparaitre, l'histoire du silence qu'il n'a jamais quitté, que je n'aurais pas du jamais dû quitter, que je ne retrouverai peut-être jamais, que je retrouverai peut-être, alors ce sera [place = supralinear] lui, ce sera moi, ce sera mon [place = supralinear] l'endroit, ce sera le silence, la fin, le commencement, le recommencement, comment dire, ce sont des mots, je n'ai que ça, et encore, ils se font rares, ils me quittent, la voix change s'altère, je connais ça, je dois connaître ça, ce sera le silence, faute de mots, plein de murmures, de cris lointains, celui prévu, celui de l'écoute, celui de l'attente, l'attente de la voix, les cris s'apaisent, comme tous les cris, c'est à dire qu'ils s'arrêtent [place = supralinear] se taisent, les murmures cessent, n'ayant rien donné, [place = supralinear] ils renoncent abandonnent, la voix reprend, elle se reprend à essayer, il faut essayer, les mots reviennent, ceux qui demeurent, il faut essayer, il ne faut pas attendre qu'il n'y en ait plus, qu'il n'en reste plus que le noyau de murmures, il faut vite essayer, avec ceux qui restent, [2330.7] essayer quoi, je je ne sais plus, ça ne fait rien, je ne l'ai jamais su, xxx quelque chose, avec ceux qui restent, essayer quoi, essayer qu'ils me portent dans mon histoire, ma vieille histoire, que j'ai oubliée, loin d'ici, à travers le bruit, à travers la porte, dans le silence, c'est trop tard, c'est peut-être trop tard, c'est peut-être déjà fait, comment le savoir, je ne le saurai jamais, dans le silence on ne sait pas, c'est peut-être la porte, je suis peut-être devant la porte, [] [place = facing leaf] c'est peut-être moi, ça a été moi, quelque part ça a été moi, je peux partir, tout ce temps j'ai voyagé, sans xx le savoir, c'est moi devant la porte, ce n'est plus un autre, ce sont les derniers mots, les vrais derniers, c'est seulement les murmures, les murmures qui commencent [place = supralinear] ce sont les murmures, ça va être les murmures, même pas, on parle de mur

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mures, de cris lointains, tant qu'on peut parler, on en parle avant, on en parle après, ce sont des mensonges, c'est le silence, ce sera le silence, mais qui ne dure pas, où l'on écoute, où l'on attend, qu'il se rompe, que la voix le rompe, c'est peut-être le seul, je ne sais pas, il ne vaut rien, ce n'est pas moi, c'est tout ce que je sais, ce n'est pas le mien, c'est le seul que j'aie eu, ce n'est pas vrai, j'ai dû avoir l'autre, j'ai dû être dans l'autre, celui qui dure, mais il n'a pas duré, je ne comprends pas, c'est à dire que si, il dure toujours, j'y suis toujours, je m'y suis laissé, je m'y attends, [2330.8] non, on n'y attend pas, on n'y écoute pas, je ne sais pas, c'est un rêve, c'est peut-être un rêve, je vais me réveiller, dans le silence, ne plus m'endormir, [place = supralinear] ce sera moi, ou rêver encore, rêver un silence, un silence de rêve, plein de murmures, je ne sais pas, ce sont des mots, ne jamais me réveiller, ce sont des mots, il n'y a que ça, il faut continuer, c'est tout ce que je sais, ils vont s'arrêter, je connais ça, je les sens qui me quittent, ce sera le silence, un petit moment, un bon moment, ou ce sera le mien, celui qui dure, qui n'a pas duré, qui dure toujours, ce sera moi, il faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer, c'est le règlement, je vais donc continuer, il faut dire des mots, tant qu'il y en a, il faut les dire, jusqu'à ce qu'ils me trouvent, jusqu'à ce qu'ils me disent, étrange peine, étrange faute, ça c'est continuer, c'est peut-être déjà fait, ils m'ont peut-être dit, ils m'ont peut être porté dans [place = supralinear] au seuil mon histoire, devant la porte qui s'ouvre sur mon histoire, ce sera moi, [place = facing leaf] si elle s'ouvre, ça va être moi, ça va être le silence, là où je suis, je ne sais pas, je ne le saurai jamais, il faut continuer, je vais continuer.

FIN

Ussy janvier
1950

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"ils" ont besoin de moi, pour que je les fasse vivre. Dans moi, xx pas en dehors.

p. 42. Plutôt silence en attendant d'avoir de savoir si les bons mots sont dans le procès-verbal. Pendant qu'on l'apporte au maître, et qu'il l'examine, les mots ne continuent pas. Pour introduire silence final, dont on ne sait pas si c'est le bon ou non.

mazette.

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