Samuel Beckett
Digital Manuscript Project
Molloy

MS-HRC-SB-4-5

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[p. 11r] [0145] Je le voyais Mais malgré ce grand élan vers lui de mon âme, au bout de son élastique, je le voyais mal, à cause sans doute de l'obscurité et puis aussi du terrain, dans les plis duquel il disparaissait de temps en temps, mais surtout je crois à cause des autres choses qui solicitaient mon attention et vers lesquelles mon âme également s'élançait à tour de rôle, sans méthode et comme avec affolement. [0146] Je parle naturellement de la c des champs que blanchiss blanchissant sous la rosée et des animaux qui cessaient d'y errer et brouter pour s'immobil prendre leurs attitudes de la nuit, de la mer dont je ne dirai rien, de la ligne de plus en plus affilée des crêtes, du ciel où sans les voir je sentais trembler les premières étoiles, et pui de ma main sur

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[p. 12r] [0146] mon genou et puis surtout de l'autre promeneur, A ou B, je ne me rappelle bien plus, celui qui rentrait sagement chez lui. [0147] Oui Oui, vers ma main aussi, que mon genou sentait trembler et dont mes yeux ne voyaient que le poignet, le dos fortement veiné et les premiè la blancheur des premières phalanges, mon âme s'élançait aussi, au même titre et je dois dire avec le même insuccès que vers le reste. [0148] Mais ce n'est pas d'elle, je parle de ma main, que je vais veux parler à présent (chaque chose à son temps), mais de cet A ou B x qui se dirige vers la ville, d'où il vient dont il vient si récemment de sortir, à en juger par son allure.[0149] Mais au fond son allure avqu' avait-elle de si spécialement urbain? [0150] Il ne portait Il était

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[p. 13r] [0150] nue-tête nu-tête, il portait des espadrilles et il fumait un cigare. [0151] Ce qui n'aurait pas empêché qu'il fût venu de loin Il marchait se déplaçait lentement avec une sorte de souple paresse flânante qui à tort ou à raison me semblait significative expressive. [0152] Mais tout cela que prouvait-il quelque ou quechose? réfutait-il? [0153] Prouvait-il Réfutait-il notamment qu'il n'était pas venu de loin, de l'autre bout de l'île même, qu'il entrait dans cette ville pour la première fois ou qu'il y retournait après une longue absence? [0154] Il est plus sign Circonstance peut-être plus significative, un petit chien le suivait, un poméranien je crois, quoique je ne puisse le certifier. [0155] Je n'en étais pas sûr au moment même et encore je ne le suis pas encore aujourd'hui je ne le suis pas, bien que j'y aie beaucoup réfléchi. [0156] Ce qui est certain, c'est que ce petit

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[p. 14r] [0156] chien suivait mal, à la façon des poméraniens, s'arrêtait, tournait longuement autour de faisait de longues girations soi, comme font les poméraniens quand ils veulent chier (la constipation chez les poméraniens est signe de bonne santé), faisaitlaissait tomber, je veux dire abandonnait, puis recommençait un peu plus loin. [0158] A un moment 9.7.47. donné, pré-établi si vous y tenez, moi je n'y tiens ni j'y tiens ni jepas n'y tiens, le monsieur revint sur ses pas, prit le chien dans ses bras et plongea la ôtai de sa bouche son cigare, et plongea le son visage dans la toison orangée. [0160] Oui, c'était un poméranien orangé, plus j'y pense plus j'en ai la conviction. [0162] Or ce monsieur serait-il venu de loin, nu-tête, en espadrilles, fumant un cigare et suivi d'un poméranien orangé? [0163] N'avait-il pas plutôt

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[p. 15r] [0163] l'air d'être issu des remparts, après un bon dîner, se promener et promener son chien en rêvant et en digérant, comme le font souv comme le font tant de citadins, quand il fait beau? [0164] Mais ce cigare, dont je parle, n'était-il peut-être pas en réalité un brûle-gueule, et ces espadrilles tout simplement des chaussures cloutées blanches de poussière, et ce chien ne pouv qu'est-ce qui l'empêchait d'être un chien errant que l'on ramasse et prend dans ses bras, par compassion ou parce qu'on a cheminé erré longtemps seul sans autre compagnie que ces routes sans fin qu'écorchent ses pas xxx, que ces sables, galets, marais, bruyères, que cette nature relevant d'une autre justice, que de loin en loin un co-détenu qu'on voudrait aborder, embrasser traire, allaiter, et qu'on croise, les yeux mauvais, de crainte qu'il ne se permette des familiarités.

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