Samuel Beckett
Digital Manuscript Project
L'Innommable / The Unnamable

MS-HRC-SB-4-1

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[2241] non, je connais ça, elle s'est t même tue, souvent, c'est comme ça que ça va finir encore, je me tairai, faute d'air, puis l'air reviendra et je recommencerai. [2282] Maintentant il n'y a plus personne, c'est ça qui est gêa gênant, si j'avais de la mémoire je saurais peut-être que c'est là le signe de la fin, de la pause qui peut être celle qui n'aura plus de fin, n'avoir plus personne, de qui par personne de qui parler, personne qui [place = supralinear] vous parle de vous, être obligé de dire, C'est moi qui me fais cette vie, ce c'est moi qui me parle de moi. [2283] Alors le souffle commence à manquer, c'est la fin qui commence, elle xxx, on se tait, [place = facing leaf] c'est la fin, ce n'en est pas une, on recommence, on a oublié, il y a quelqu'un, quelqu'un qui vous parle, de vous, de lui, puis un deuxième, puis le premier encore, puis un troisième, puis le deuxième encore, puis les trois à la fois, ils vous parlent qui vous parlent, de vous, d'eux, je n'ai qu'à écouter, puis ils s'en vont, un à un, ils s'éloignent [] [place = facing leaf] ils se taisent, un à un, mais [place = supralinear] et leur [place = supralinear] la voix continue, ce n'est pas la leur, ils n'ont jamais été là, il n'y a jamais eu personne, il n'y a jamais eu de [place = supralinear] que vous, vous parlant de vous, le souffle manque, c'est presque la fin, le souffle s'arrête, c'est la fin, ce n'en est pas une, je m'entends appeler, ça recommence, c'est peut-être comme ça que ça me passe, si j'avais de la mémoire. [2284] Encore s'il y avait des choses, une chose quelque part, un morceau de nature, de quoi parler, on se ferait [place = supralinear] peut-être une raison, de n'avoir plus personne, d'être celui qui parle, s'il s'il y avait une chose quelque part, de quoi parler, même sans la voir, même sans savoir ce que c'est, seulement la sentir là, avec soi, quelque part, on aurait peut-être le courage, de ne pas se taire, non, c'est pour se taire qu'il faut du courage, car on sera puni, de s'être ta tu, et cependant, il faut se ta on ne peut pas faire autrement que de se taire, que d'être puni de s'être tu, [place = supralinear] [] qu' que d'être

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[2284] puni d'avoir été puni car [place = supralinear] puisqu' on recommence, le souffle manque, s'il [place = supralinear] si seulement y avait une chose, mais voilà, ils il n'y en a pas, c'est eux qui en partant ont enlevé les choses, ils ont enlevé la nature, il n'y a jamais eu personne, il n'y jamais eu rien, personne que moi, rien que moi, me parlant de moi, impossible de continuer, mais je dois continuer, je vais donc continuer, sans personne, sans rien, que moi, que ma voix, c'est à dire que je vais m'arrêter, je vais finir, c'est la fin déjà, la fin qui commence, qui n'en sera pas une, qu'est-ce que c'est, un petit trou, x on y descend, c'est le silence, pire que le bruit, on écoute, c'est pire que parler, non, pas pire, la même chose, on attend, anxieux, vous ont-ils oublié, non, on [place = supralinear] quelqu'un appelle, on [place = supralinear] quelqu'un vous appelle, [place = facing leaf] [] on resort, qu'est-ce que c'est, un petit trou, dans le désert. [2285] C'est la fin qui est le pire, non, ce n'est pas vrai, c'est le commencement qui est le pire, puis le milieu, puis la fin, à fi à la fin c'est la fin qui est le pire, cette voix qui, c'est chaque instant qui est le pire, ça se passe dans le temps, les secondes passent, l'une après l'autre, saccadées, ça ne coule pas, elles ne passent [place = supralinear] pas, elles arrivent, pan, paf, pan, paf, elles vous frappent, rebondissent, ne bougent plus, quand on ne sait plus quoi dire on parle du temps, des secondes, il y en a qui les ajoutent les unes aux autres, moi je ne peux pas pour en faire des heures, pour en faire des jours, pour en faire une vie, moi je ne peux pas, chacune est la première, non, chacune est la seconde, ou la troisième, j'ai trois secondes, et encore, pas tous les jours. [2286] J'ai été ailleurs, j'ai fait autre chose, j' je suis descendu dans un grand trou, j'en sors à l'instant, je me suis tu peut-être, non, je dis ça, c'est peut-être vrai, je n'en sais rien, je le dis, pour pouvoir dire quelque chose, pour pouvoir continuer encore un peu, il faut continuer encore un peu, il faut continuer encore longtemps, il faut con

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[2286] tinuer encore toujours, si je me rappelais ce que je j'avais dit je le repèterais, si je pouvais apprendre quelque chose par cœur je serais sauvé, je dois dire toujours la même chose et chaque fois c'est un effort, les secondes doivent se ressembler et chacune est mauvaise, qu'est-ce que je suis en train de dire maintenant, je suis en train de me le demander. [2287] Pourtant j'ai des souvenirs, je me rappelle Worm, c'est à dire que j'ai retenu le nom, et cet autre, comment s'appelle-t-il, comment s'appelait-il, dans sa jarre, je le vois bien, je le vois mieux que moi, je sais comment il vivait, maintenant je me rappelle, moi seul le voyais, mais moi personne ne me voit, lui non plus, je ne le vois plus, Mahood, il s'appelait Mahood, je ne le vois plus, je ne sais plus comment il vivait, il n'est plus là, il n'a jamais été là, je ne l'ai jamais vu, pourtant je m'en souviens, pour que je m'en souviens sans que j'en ai parlé, j'ai dû en parler, les mêmes mots reviennent et ce sont mes souvenirs. [2288] C'est moi qui l'ai inventé, lui et tant d'autres, et les endroits où ils passaient, et les endroits où ils restaient, afin de pouvoir parler, puisqu'il fallait parler, sans parler de moi, car je ne pouvais parler de moi, on ne m'avait pas dit qu'il fallait parler de moi, j'ai inventé mes souvenirs, sans savoir ce que je faisais. [place = overwritten] , j'ai mis mes souvenirs à mes trousses, pas un seul n'est sur moi. [2289] Ce sont eux qui m'ont demandé de parler d'eux, ils voulaient savoir comment ils étaient, ce qu'ils faisaient, ça m'arrangeait, je croyais que ça m'arrangeait, puisque je n'avais rien à dire, puisque je devais dire quelque chose. [2290] Je me croyais libre de dire n'importe quoi, du moment que je ne me taisais pas, [2291] et puis je me disais x que ce n'était pas forcément qu'après tout ce n'était pas forcément n'importe quoi, ce que je disais, que ça pouvait très bien être la chose qu'il fallait que je dise, en supposant qu'on exigeait de moi, en supposant qu'on exigeât de moi une chose plutôt qu'une autre. [2292] Non, je ne croyais ni ne me disais rien, je faisais ce que je pouvais, une chose au-dessus de mes forces,

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[2292] et souvent n'en pouvant plus je ne faisais plus rien, et pourtant la chose continuait à se faire, la voix à se faire entendre, celle qui ne pouvait être la mienne, car je n'avais plus de voix, et qui cependant devait l'être, puisque je ne pouvais [place = supralinear] pas me taire, et puisque j'étais seul, hors de la portée de toute voix. [2293] Oui, dans ma vie, puisqu'il faut l'appeler ainsi, il y a eu trois choses, l'impossibilité de parler, la nécessité de parler l'impossibilité de me taire, et la solitude, physique s'entend, avec ça j'ai dû me débrouiller. [2294] Oui, je peux parler de ma vie maintenant, je suis trop fatigué pour être délicat, mais je ne sais pas si j'ai été en vie, je n'ai vraiment pas d'opinion là-dessus. [2295] Je crois que je quoi qu'il en soit, je crois que je vais bientôt me taire, [place = supralinear] tout à fait malgré que cela me soit interdit. Alors l'interdiction qui m'en est faite. [2296] Alors, oui, comme ça , comme un vivant, [place = supralinear] allons-y, je se alors je serai mort, je vais bientôt être mort, j'espère que ça me changera. [2297] J'aurais voulu me taire avant, il m'a toujours [place = supralinear] je croyais par moments que ce serait là ma récompense d'avoir si vaillamment parlé, entrer [place = supralinear] encore vivant dans le silence, afin de pouvoir en jouir, non, je ne sais pas pourquoi, pour me sentir qui me taisais, pour me sentir uni à tout cet air que moi seul agite depuis toujours, non, ce n'est pas du vrai air, je ne peux pas le dire, je ne peux pas dire pourquoi j'aurais voulu me taire avant d'être mort, je suis pour xxx être un peu enfin ce que j'ai toujours été empêché d'être, [place = facing leaf] ce qu'ayant toujours été je n'ai jamais pu être, tranquillement sans peur de pire encore là où ayant toujours été je n'ai jamais osé m'avouer pu reposer, je ne sais pas, c'est plus simple, je me voulais moi, je voulais mon pays, je me voulais dans mon pays, je ne un petit moment, je ne voulais pas mourir en étranger, parmi des étrangers, en étranger chez moi, au milieu d'envahisseurs, non, je ne sais pas ce que je voulais, je ne sais pas ce que je croyais, je ne me rappele pas, j'ai dû tant croire [place = supralinear] vouloir de choses, tant imaginer de folies, tout en parlant, sans savoir quoi au juste, à en être aveuglé, de désirs et de visions, fondant les uns dans les autres, j'aurais mieux fait de faire attention à ce que je disais. [2298] Et puis ça ne se passait pas comme ça, ça se passait

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[2298] comme ça se passe en ce moment, c'est à dire, je ne sais pas, il ne faut pas se fier [place = supralinear] croire à ce que je dis, je ne sais pas ce que je dis, je fais comme j'ai toujours fait, je continue comme je peux, [place = overwritten] . [2299] j'ai peut-être parlé de moi sans le savoir, c'est un mal, ou c'est [place = supralinear] un bien ou ce n'est ni un mal ni un bien, j'en parle peut-être un ce moment, [place = facing leaf] [] même remarque, et quand je dis que je crois que je vais me taire tout à fait, ce n'est forcément [2299] Et quant à croire que je vais bientôt me taire tout à fait, je n'y [place = supralinear] ne le crois pas spécialement, j'y je l'ai toujours cru, comme j'ai toujours cru que je ne me tairai jamais, on ne peut pas appeler ça croire, ce sont mes murs. [2300] Mais n'y a-t-il vraiment rien de changé, depuis le temps? [2301.1] Si au lieu de d'avoir à parler j'avais à faire quelque chose avec mes mains, un travail de triage par exemple, ou de simple arrangement, supposition que j'eusse à changer des choses de place, je x saurais où j'en étais, non, pas forcément, je vois ça d'ici, ils s'arrangeraient pourque que je puisse soupconner les 2 récipients, celui à vider et celui à remplir, de n'en faire qu'un, ce serait de l'eau, ce serait de l'eau, avec mon dé j'irais la puiser dans un réservoir et j'irais la verser dans l'autre un autre, ou il y en aurait quatre, ou il y en aurait cent, la une [place = supralinear] une la dont la moitié à remplir vider, une [place = supralinear] numérotés, l'autre à remplir., [] [place = facing leaf] [] numerotés les pairs à vider, les impairs à remplir, [place = supralinear] non, ce serait plus compliqué, peu importe, à vider, à remp d'une certaine façon, dans un certain ordre, pour que j'aie à refléchir , [] numerotés, les pairs à vider, les impairs à remplir, [2301.2] non, ce serait plus compliqué, peu im ce serait moins symétrique, peu importe, à vider, à remplir, d'une certaine facon , dans un certain ordre, suivant certaines correspondances, pour que j'aie [place = supralinear] je sois obligé besoin de réfléchir. mais ils communiqueraient, ils communiqueraient, par un système de tuyaux dissimulés sous le plancher, ils accuseraient tous toujours le même niveau, non, ça ne marcherait pas, il faudrait me [place = supralinear] l'espoir n'y serait pas, laisser l'espoir, il faudrait que je puisse espérer et desespérer , ils s'arrangeraient pour que je puisse connaître [place = supralinear] avoir des mouvements d'espoir, si si, pas de calme, mais je suis, j'allais dire que je suis calme, oui, ils s'arrangeraient, avec des robinets et des entonnoirs, je vois ça d'ici, pour que j'imagine des choses, de temps en temps, si j'avais ça à faire, au lieu d'avoir à parler, ce petit travail de transvasement, je le ferais bien, je serais mieux que je ne suis, [2301.3] non, je ne veux pas me plaindre, j'aurais un corps, je n'aurais rien à dire, j'entendrais mes pas, presque sans cesse, et le bruit de l'eau, et le cri de l'air pris dans les tuyaux, je ne comprends pas, j'aurais des moments de zèle, en me disant, Plus je ferai vite plus vite ce sera fait, ce serait là

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[2301.2] Robinet
Entonnoir

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