Digital Manuscript ProjectMalone meurt / Malone Dies

[1687] besoin de moi, j'aurais été peut-être
obligé de fréquenter mes semblables, [ADDITION]Addition on page
61vou d'avoir recours aux consolations d'une
confession quelconque, mais
je ne crois pas.
[1688] Et j'aimais, je me rappelle, tout en
marchant, les mains plongées dans
mes poches (je parle de l'époque où
je marchais encore sans bâton ni
bequilles ), j'aimais tâter et caresser
les petits objets durs et nets qui
s'y trouvaient, dans mes grandes poches,
c'était ma facon de leur parler et de
les rassurer.
[1689] Et je m'endormais
volontiers en tenant à la main un
caillou, un marron ou une pomme de
pin, et je le tenais encore à mon
réveil, les droits repliés dessus, mal-
gré le sommeil qui fait du corps
un chiffon, afin qu'il se repose.
[1690] Et ceux dont je me lassais, où que
d'autres venaient remplacer dans mon
affection, je les jetais, c'est à dire
que je cherchais longuement
l'endroit où ils seraient tranquilles
[1690] pour toujours, où jamais
personne ne les trouverait à moins
d'un hasard extraordinaire, et de tels
endroits sont difficiles à trouver, et
je les y posais avec soin.
[1691] Et quelque-
fois je les enterrais, ou les jetais
à la mer, de toutes mes forces aussi
loin que possible de la plage,
ceux dont j'étais sûr qu'ils ne
flotteraient pas, même brièvement.
[ADDITION]Addition on page
Mais même les amis de bois,
j'en ai envoyés au fond un certain nombre en les lestant
d'une pierre. Mais j'ai compris qu'il
ne fallait pas.
Car la ficelle
une fois pourrie
ils remonteront à la surface, si
ce n'est pas déjà fait, et
reviendront à la terre, tôt ou tard.
C'est ainsi que je me défaisais
des choses que je ne pouvais plus garder.
[1696] Et souvent je les regrettais.
[1697] Mais
je les avais si bien cachées que moi-même
ne savais les retrouver.
[1698] Voilà
comme il faut faire, comme si j'avais
du temps à tuer.
[1699] C'est d'ailleurs le
cas, je le sais bien au fond.
[1700] Alors pourquoi
jouer à l'urgence?
[1701] Je ne sais pas.
[1702] C'est peut-être urgent après tout.
[1703] J'ai
eu cette impression tout à l'heure,
plaisanterie à part.
[1705] Et si je n'y tenais
pas tant que ça, à me rappeler
tout ce qui me reste, [ADDITION]Addition on page
61vde tout ce que j'ai eu, une bonne
vingtaine d'objets au bas mot?
[1706] Si, si, il le faut absolument.
[1707] Alors
c'est autre chose.
[1708] Où en étais-je?
[1709] Mon fourneau.
[1710] Je ne
m'en suis donc jamais défait.
[1711] Il
me servait de récipient, j'y mettais
un tas de choses, je me demande ce que
j'ai bien pu y mettre, et je lui ai
fabriqué un couvercle en fer blanc.
[1712] Au suivant.
[1713] Ce pauvre Mac Mann .
[1714] Décidément il ne m'aura été donné de
rien achever, sinon de respirer.
- Segments
Malone meurt / Malone Dies © 2017 Samuel Beckett Digital Manuscript Project.
Editors: Dirk Van Hulle, Pim Verhulst and Vincent Neyt