Samuel Beckett
Digital Manuscript Project
L'Innommable / The Unnamable

MS-HRC-SB-3-10

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[0407] désespère pas, cette fois-ci, tout en disant qui je suis, où je suis, de ne pas me perdre, de ne pas partir, de finir ici. [0408] Ce qui empêche le miracle, c'est l'esprit de méthode, auquel j'ai été un peu trop sujet peut-être. [0409] Que Prométhée fût délivré, vingt-neuf mille neuf cent soixante-dix ans avant d'avoir purgé sa peine, ne me fait bien sur ni froid ni chaud. [0410] Car entre moi et ce misérable qui se moqua des dieux, inventa le feu, dénatura l'argile, et domestiqua le cheval, [] [] bref en un mot, obligea l'humanité, il n'y a rien de commun, je l'espère. [0411] Mais je le mentionne quand même. Mais la chose est à xxx remarquer. signaler.

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[0415] Les Murphy, Molloy et autres Malone [0412] Je resume : (1) vais-je enfin pouvoir parler de moi, de ma boîte, sans les supprimer tous les deux? (2) vais-je jamais pouvoir me taire? (3) y a-t-il un rapport entre ces deux questions? [0413] On aime les enjeux. [0414] Et voilà quelques plusieurs, qui ne sont qu'un peut-être un seul.

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[0415] Ces Murphy, Maloolloy et autres Malone, je n'en suis pas dupe. [0416] Ils m'ont fait perdre mon temps, rater ma vie, en me permettant de parler d'eux, quand il fallait ne parler que de moi, rien que de moi, afin de pouvoir me taire. [0417] Mais je viens de dire que j'ai parlé de moi, que je suis en train de parler de moi: [0418] je m'en fous de ce que je viens de dire. [0419] C'est maintenant que je vais parler de moi, rien que de moi, pour la première fois. [0420] J'ai cru bien faire, et m'xx adjoignant des souffre-douleurs. [0421] x Je me suis trompé. [0422] Leurs douleurs ne sont rien, à côté des miennes, une petite partie des miennes, celle dont j'avais me détacher, pour la contempler. [0423] Qu'ils s'en aillent maintenant, eux et les autres, ceux que j' dont j'ai usé, ceux qui m'attendent, qui qu'ils me rendent x ce que je leur ai imposé infligé et disparaissent, de ma vie, de mon souvenir, de mes regrets hontes, de mes craintes. [0424] Voilà, il n'y a que moi ici, personne ne tourne autour de moi, personne ne vient vers moi, devant moi personne n'a jamais rencontré personne. [0425] Ces gens n'ont jamais existé. [0426] N'a N'ont jamais existé xx que moi et ce vide opaque. [0427] Et les bruits? [0428] Non plus, tout est silencieux. [0429] Et les lumières, sur les

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[0413] on aime les enjeux. [0414] Et voilà un. plusieurs, qui ne sont peut-être qu'un.

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[0429] quelles je comptais tant, faut-il les éteindre? [0430] Oui, il le faut, il n'y a pas de lumières ici. [0431] Allons jusqu'au bout, l'air non plus Le gris non plus n'a jamais existé n'existe pas, c'est noir qu'il fallait dire. [0432] Je le dis Il y a moi Ne sont, ne furent, ne seront, que moi, dont je ne sais rien, et ce noir, dont je ne sais rien non plus. Tout le reste c'est des mensonges, des prières, de la poltronnerie. x
sauf que je suis maintenant entier je n'en ai jamais parlé, et ce noir, dont je ne sais rien non plus, sauf qu'il est noir, et vide.
[0433] C'est donc de cela que, devant parler, je devrai parler parlerai, jusqu'à je puisse me taire. [0434] Ça donnera ce que ça donnera. [0435] Et Basile et compagnie? [0436] Mensonges Inexistant, inventées pour expliquer je ne sais plus quoi. [0437] Ah oui. [0437|001] Je me rappelle. [0438] Puérilités que tout ça. [0439] Dieu et les hommes, [] [] le jour et la nature, les élans du cœur et le moyen de comprendre, lâchement je les ai inventés, pour retarder l'heure sans l'aide de personne, puisqu'il n'y a personne, pour retarder l'heure parler de moi. [0440] Il n'en sera plus question.

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[0441] Je sais que j'ai les yeux ouverts, à cause des larmes qui en coulent sans cesse. [0442] Je me xx sais assis, à cause de la pression les mains sur les genoux, à cause de la pression contre mes fesses, contre les plantes de mes pieds, contre mes mains, contre mes genoux. [0443] Contre mes mains ce sont mes genoux qui pressent, contre mes genoux mes mains, mais qu'est-ce qui presse contre mes fesses, contre les plantes de mes pieds? [0444] Je ne sais pas. [0445] Mon dos n'est pas soutenu. [0446] Je rapporte ces détails, pour indiquer m'assurer que je ne suis pas tombé sur le dos par exemple, les jambes pliées et en l'air, les yeux fermées . [0447] Il est bon de s'assurer de sa position corporelle dès le début, avant de passer à des choses plus importantes. [0448] Mais qu'est-ce qui me dit que je regarde droit devant moi, comme je l'ai affirmé? [0449] Je me sens le dos droit, le cou droit et non tordu, et là-dessus la tête, bien assise, comme sur son bâtonnet la boule du bilboquet. [0450] Notez, ces comparaisons sont déplacées. [0451] Puis il y a la façon de couler de mes larmes, que je sens qui me coulent sur toute ma la figure, des yeux jusqu'aux mâchoires, et jusque dans mon le cou, ce qui ne serait pas le cas si j'avais la tête penchée d'une façon comme elles ne

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[0451] sauraient le faire sur un visage penché, ou sur un visage renversé, il me semble, [0452] mais je ne dois pas confondre la droiture de la tête avec celle du regard. [0453] Cette question en tout cas est secondaire, puisque je ne vois rien. [0453|001] Mais il est bon de se savoir les yeux ouverts. [0454] Suis-je vêtu? [0455] Je me suis souvent posé cette question. Puis vite je parlais du chapeau de Malone, ou du manteau de Molloy, ou du costume de Murphy. [0456] Si je le suis, je ne le suis que fort légèrement. [0457] Car je sens mes larmes qui me coulent sur la poitrine, sur les flancs, le long du dos. [0458] Oui, je Ah oui, je suis vraiment baigné de larmes. [0459] Elles s'accumulent s'accumulent x dans ma barbe et de là, quand elle ne peut n'en peut plus contenir - Non, je n'ai pas de barbe, je n' pas de cheveux non plus, c'est une grande boule lisse que je porte sur les épaules, sans linéaments, sauf les yeux, dont il ne reste plus que les orbites. [0460] Et n'étaient sans n'était la lointaine évidence de mes paumes, de mes plantes, de mes fesses, de mes genoux, dont je n'ai pas encore su me débarrasser, je me dirais donnerais volontiers la forme sinon la consistance d'un œuf, avec 2 trous quelque part pour m'empêcher d'éclater. [0461] Car comme consistance, c'est plutôt de la gelée. [0462] Mais n'anticipons pas, si Mais doucement, sinon je n'arriverai jamais. [0463] Donc comme possibilité vestimentaire je ne vois guère que des molletières pour le moment. [0464] Je ne dirai plus d'obscénités non plus. [0465] Pourquoi aurais-je un sexe, moi qui n'ai plus de nez? [0466] Tout ça est tombé, toutes les choses qui dépassent, tombés avec mes yeux mes cheveux, sans laisser de traces , tombé si bas, si loin, que je n'ai rien entendu, que ça tombe encore peut-être, de la chute de mes oreilles rien entendu. [0467] Inutile, petite âme toujours, l'amour je l'ai inventé, la musique, l'odeur du groseiller sauvage, pour ne pas parler de moi. [0468] Les sens, un dehors, c'est facile à imaginer, c'est comme les autres, c'est comme Dieu, c'est forcé, on les invente, c'est forcé, je ne sais plus ce que je dis, mais je dis, c'est forcé, on les invente, c'est facile, ça calme le principal, c'est ça pallie, pendant un temps. [0469] Oui, Dieu, je n'y ai jamais cru, fauteur de calme, un instant. [0470] Je ne ferai plus de pauses

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[0458] vraiment baigné de larmes

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[0462] Anticipez pas, je n'arriverai jamais.

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[0470] non plus. [0471] Ne puis-je donc rien garder de tout ce qui a porté mes pauvres pensées, ployé sous mes dires?, pendant que moi je me cachais?, me taisais? [0472] Ces orbites ruisselantes, je vais les sécher aussi, les boucher, voilà, c'est fait, je suis une grande boule parlante, parlant de choses qui n'existent pas ou qui existent peut-être, impossible de le savoir, d'ailleurs la question n'est pas là. [0473] Oui, je suis fermement decidé à changer de chanson. [0474] Et après tout, pourquoi une boule, plutôt qu'autre chose, et pourquoi grande? [0475] Pourquoi pas un cylindre, un petit cylindre? [0476] Un œuf, un œuf moyen? [0477] Non, non, c'est là la veille erreur, je me suis toujours su rond, solide et rond, sans oser le dire, sans aspérités, sans ouvertures, invisible peut-être, ou grand comme Sirius dans le Grand Chien, ces expressions n'ont pas de sens. [0478] Que je sois rond et dur, c'est tout ce qui importe, il y a certainement des raisons à cela, que je sois rond et dur, plutôt que d'une forme irrégulière quelconque, susceptible de se creuser et de se bomber au hasard des chocs, mais je ne dirai plus de raisons. [0479] Le reste je l'abandonne, dont ce noir ridicule où j'ai cru pouvoir baigner plus commodément que dans le gris. [0480] Quels trucs que ces histoires de clarté et d'obscurité! [0481] Et m'en suis-je payé! [0482] Mais est-ce que je roule, selon ma nature de boule [] sphère boule, ou suis-je calé quelque part, sur un de mes innombrables pôles? [0483] Je me sens bien tenté d'essayer de le savoir. [0484] De cette préoccupation si légitime en apparence, quelle tranche de discours à tirer! [0485] Mais qui ne me serait pas comptée. [0486] Non, entre moi et le repos vivant droit au silence, le repos vivant, s'étend la même leçon que depuis toujours, que je savais bien mais n'ai pas voulu dire, je ne sais pourquoi, par crainte du silence peut-être, ou croyant qu'il suffisait de dire n'importe quoi, donc de préférence des mensonges, afin de rester caché. [0487] Mais peu importe les causes. [0488] Mais maintenant je vais la dire, ma leçon, si je peux me la rappeler. [0489] Sous le ciel, sur les routes, dans en les villes ville, dans les bois, au bord de la mer, dans une chambre, dans la plaine, dans la montagne, au bord de la mer, en mer, derrière mes remplaçants homuncules, je n'ai pas toujours été triste, j'ai perdu mon temps, renié mes droits, oublié ma leçon.

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[0490] Puis un petit enfer à ma façon, pas trop méchant, avec quelques gentils damnés accrochement accrocher mes gémissements, une chose qui soupire de loin en loin et au loin par éclairs la pitié en flammes pour xxxtir attendant l'heure damnante des cendres remuees . [0491] Je parle, je parle, car il faut parler, mais je n'écoute pas, je cherche ma leçon, ma vie que je savais autrefois et n'ai pas voulu avouer, d'où peut-être par moments un léger manque de limpidité. [0492] Peut-être que cette fois-ci je ne ferai encore que chercher ma leçon, sans pouvoir la dire, tout en m'accompagnant, dans une langue qui n'est pas la mienne. [0493] Mais au lieu de dire ce que j'ai dit le tort de dire, ce que je ne dirai plus, ce que je dirai peut-être, si je peux, ne ferais-je pas mieux de dire autre chose, même si ce n'est pas encore ce qu'il faut? [0494] Je vais essayer, je vais essayer dans un autre présent, même si ce n'est pas encore le mien, sans pauses, sans cochonneries, sans pleurs, sans yeux, sans raisons. [0495] Mettons donc je sois fixe, quoique cela n'ait vraiment aucune importance, que je sois fixe ou que roulant je change sans cesse de place, dans les airs ou en contact avec d'autres surfaces, ou que tantôt je roule, tantôt m'arrête, xxx sont tous pareils, j'imagine puisque je ne sens rien, ni quiétude ni changement, rien qui puisse servir de point de départ à une opinion à ce sujet, ce qui ne serait serait pas faux importerait peu si j'avais quelques connaissances d'ordre général et avec ça l'usage de la raison, mais voilà, je ne sens rien, je ne sais rien et pour ce qui est de penser, je le fais juste assez pour ne pas me taire, c'est à dire à peine. [0496] Ne mettons donc rien, ni que je bouge ni que je bouge pas ni que je fasse tantôt l'un tantôt l'autre, c'est plus sûr, puisque ça n'a pas d'importance. Passons plutôt aux choses importantes. [0497] Quelles sont-elles? [0498] Cette voix qui parle, se sachant mensongère, indifférente à ce qu'elle dit, trop vieille peut-être et trop humiliée pour jamais pouvoir dire enfin les mots qui lui peuv donnent le droit de cesser, se sachant inutile, pour rien, qui ne s'écoute pas, attentive au silence qu'elle rompt, par où un jour peut-être lui reviendraita le long soupir

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